La Thaïlande n’est certes pas l’Indonésie, où les transgenres sont arrêtés par la police et ont leurs cheveux coupés en public, ni la Malaisie, où les actes homosexuels peuvent être punis d’une peine jusqu’à vingt ans de prison. Mais la Thaïlande est-elle pour autant le « paradis des LGBT » comme l’estiment de nombreux visiteurs étrangers dans le royaume ? Loin de là, répondent en choeur de nombreuses organisations de la société civile thaïlandaise engagées dans la protection des droits des LGBT, qu’il s’agisse des questions d’accès aux emplois ou de la lutte contre la discrimination dans les écoles, les universités et sur les lieux de travail.
«La Thaïlande accepte les LGBT mais à certaines conditions », estime Kath Khangpiboon, de la Foundation of Transgender Alliance for Human Rights, qui enseigne à l’université Thammasat et effectue un doctorat en sciences sociales. « Par exemple, si vous avez un statut social élevé et que vous êtes LGBT, vous serez accepté », ajoute-t-elle.
Kath Khangpiboon, de la Foundation of Transgender Alliance for Human Rights, a gagné un procès contre l’université Thammasat.(Arnaud Dubus)
Kath a elle-même affronté de face les préjugés de la société thaïlandaise. Alors qu’elle avait postulé à un poste d’enseignante à l’université Thammasat en 2015, présentant toutes les qualifications requises et ayant déjà une bonne expérience d’enseignement à temps partiel au sein de cette institution, elle avait été écartée après des manoeuvres de la direction de l’université.
Le prétexte avancé était que Kath avait posté sur sa page Facebook, un an auparavant, une photo d’un rouge à lèvres en forme de pénis. « Si cette photo avait été postée par une personne non-LGBT, il n’y aurait eu aucun problème. Mais dans mon cas de figure, ils ont considéré qu’il s’agissait d’un « acte inapproprié » parce que je suis transgenre », explique-t-elle.
Kath ne s’est pas laissée faire : elle a intenté un recours pour discrimination devant le tribunal administratif. Après trois ans de procédures et de multiples rebondissements, elle a fini par gagner le procès en mars de cette année, le tribunal ordonnant à l’université de l’engager comme enseignante attitrée.
« Au départ, je ne pensais pas que mon recours allait aboutir, mais je l’ai intenté car je voulais simplement que soit dit clairement quel est le « standard » sur cette question des enseignants transgenres », dit Kath. En tous les cas, sa victoire a été saluée comme un pas important – et un précédent judiciaire – dans la protection des droits des LGBT en Thaïlande.
Au niveau législatif, une loi d’égalité des genres a été adoptée en 2015, mais le gouvernement militaire n’a pas permis aux organisations de protection des droits de LGBT de participer à son élaboration. Cette loi a toutefois permis certains progrès.
Le harcèlement basé sur l’identité sexuelle à l’école ou sur les lieux de travail est désormais illégal. En théorie, les étudiants à l’université peuvent porter un uniforme conforme à leur identité sexuelle, mais concrètement certaines universités rechignent.
Dans les écoles primaires et secondaires en revanche, les actes de discrimination sont nombreux. Ainsi, une école de Nakhon Ratchasima a indiqué dans les documents d’inscription à remplir que « les élèves qui vivent une identité sexuelle différente de celle de leur naissance » seront rejetés.
« Quand nous avons appris cela, nous avons soumis une pétition au comité contre la discrimination établi selon la loi de 2015, mais le comité n’a pas donné suite, disant que nous ne pouvions pas présenter de « victimes », et a cherché un compromis avec l’école», raconte Chumaporn Taengkliang du groupement Togetherness for Equallity and Action, qui se bat contre toutes formes de discrimination.
Les formes de discrimination les plus courantes concernent l’accès à l’emploi. Les LGBT sont bien acceptés dans les milieux des médias audiovisuels, du spectacle et du divertissement en général. Mais les choses se compliquent lorsqu’ils veulent accéder à des professions comme médecin, juge, avocat, fonctionnaire ou devenir dirigeants de firmes importantes.
« Nous ne sommes pas jugés sur nos capacités, mais sur notre identité de genre », indique Kath. «Les gens n’ont pas confiance en nous. Ils se disent : il n’est pas possible qu’un LGBT puisse exercer telle ou telle profession. Ils pensent que si vous êtes LGBT, vous devez vous cantonner à certains secteurs. »
Dans la fonction publique, même si certains LGBT peuvent occuper des postes subalternes, les obstacles restent importants. L’an dernier par exemple, lors d’une interview pour un poste au ministère des Affaires étrangères, un jeune LGBT s’est vu dire par son interlocuteur qu’il avait vu une photo sur sa page Facebook la montrant habillé « comme un transgenre » et que cela lui enlevait toute chance d’accéder à l’emploi.
Par ailleurs se pose la question de l’uniforme lors des cérémonies formelles. « Les transgenres dans la fonction publique sont obligées de porter des uniformes masculins, et donc elles préfèrent se cacher lors de ces cérémonies officielles, ce qui nuit à leur carrière », indique Chumaporn.
Mais les pratiques de discrimination dans les milieux éduqués de la capitale pâlissent par rapport à celles existant dans les milieux moins favorisés, notamment dans le monde ouvrier et dans les zones rurales.
« Les préjugés culturels contre les LGBT peuvent être forts dans les milieux ruraux qui considèrent une sexualité divergente comme le résultat d’un mauvais karma », note un rapport intitulé Gender identity and sexual orientation in Thailand, publié par l’Organisation Internationale du Travail en 2014.
« Il en résulte que les LGBT en milieu rural font face à de multiples problèmes : moins d’opportunités, moins d’accès à l’éducation et à l’héritage familial, moins d’accès aux emplois ».
Lors d’un séminaire, une ouvrière transgenre racontait à l’assistance comment elle avait été « presque violée » par ses collègues de travail car ils pensaient qu’elle deviendrait une femme hétérosexuelle s’ils agissaient ainsi. Lors d’un autre incident, la zone industrielle Amata avait déployé une banderole sur laquelle était inscrit : « Nous ne voulons pas que des tomboy postulent pour les offres d’emploi ».
Souvent pourtant au sein des familles, qu’elles soient de revenus modestes ou haut placées sur l’échelle sociale, les différentes orientations sexuelles semblent bien acceptées. Les problèmes viennent en grande partie de la rigidité des lois et de la bureaucratie.
Par exemple, le titre « Mr » ou « Mrs » sur la carte d’identité ou le passeport ne peut pas être changé pour être mis en conformité avec l’orientation sexuelle selon la loi. Ce qui provoque parfois des incidents lorsque par exemple des transgenres franchissent un guichet d’immigration à l’aéroport et sont pris à part pour être « interviewés » – incidents qui ne se limitent pas à la Thaïlande mais se produisent dans de nombreux pays d’Asie.
De même, quand les transgenres sont appelés sur le haut-parleur public selon leur « sexe officiel », par exemple quand ils attendent à l’hôpital. « Beaucoup se sentent effrayés et perdent toute confiance en eux dans ce type de situation », explique Kath.
Pour résoudre ce problème, un projet de loi sur « l’identité des genres » (reconnaissant officiellement les orientations sexuelles) est en cours de préparation, mais il est probable qu’il ne sera pas adopté avant de nombreuses années.
Un autre texte sur « le partenariat civil » permettant les unions de deux personnes du même sexe et inspiré du Pacs français pourrait être adopté avant la fin de l’année (il n’inclut pas les transgenres).
L’adoption de nouvelles lois ne résout toutefois pas forcément tous les problèmes de discrimination. « L’Association des universités a par exemple émis une lettre officielle demandant à tous les recteurs d’université de permettre le port d’uniformes conformes à l’orientation sexuelle, mais cela n’a pas été respecté par tous, car certains se basent sur leurs préjugés » indique Kath. «Ainsi peut-être que dans dix ans nous aurons une loi sur l’identité des genres, mais l’attitude restera la même. »
Arnaud Dubus (http://www.gavroche-thailande.com/)
Article publié dans le Gavroche de juin dernier, n°284, disponible ici
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