Le 26 mars dernier, à l’occasion des 119 ans de la première ligne des chemins de fer thaïlandais, un bon vieux train à vapeur a relié Bangkok à l’ancienne capitale Ayutthaya. Une expérience inoubliable pour les passagers qui avaient pu avoir des places. Un nouveau voyage est prévu pour l’anniversaire de la reine le 12 août.
La gare Hua Lamphong a quelque chose de changé. Dans la salle des pas perdus, des stands, des grandes affiches et posters occupent l’allée centrale. Tous rappellent les grandes dates et les grands épisodes de la construction du chemin de fer en Thaïlande. L’histoire de la SRT – State Railway of Thailand – a commencé fin du XIXe siècle avec l’ouverture, en 1897, de la première ligne nationale de chemin de fer.
L’effervescence règne sur le quai n°5. Il est 7h30 du matin. Beaucoup de familles ont voulu faire ce bout de chemin qui sépare la nouvelle capitale à l’ancienne. Soit 70 kilomètres dans des conditions proches de celles d’il y a plus d’un siècle. Une machine à remonter le temps. Chacun sait que ce n’est pas un voyage comme les autres. D’habitude, les passagers se précipitent pour trouver leur place, s’installer et s’approprier un bout de banquette pour se mettre à l’aise. Là, l’urgence est de remonter la dizaine de wagons pour aller voir la bête sortie de son musée. La foule s’agite, on prend des photos, on monte sur le devant de la première locomotive pour assurer un cliché qui demeurera, à n’en pas douter, dans l’album de famille. Les uns après les autres, chacun veut immortaliser ce moment familial et officiel. D’ailleurs, les responsables de la SRT sont là, tout comme les délégués ministériels. Eux aussi posent pour un cliché plus bon enfant que protocolaire.
Huit heures, toute la gare se fige quand l’hymne national retentit. Puis l’inimitable sifflet à vapeur signale le départ imminent. La foule comprend que la bête va sous peu cracher sa vapeur d’eau et chacun regagne sa place au plus vite. Les aménagements des voitures sont sans surprise pour celui qui a l’habitude de prendre le train en Thaïlande. Il s’agit des wagons de troisième classe encore en service aujourd’hui. Mais pour l’occasion, ils sont rutilants et toutes les banquettes ont été fixées et réparées… Le confort est rudimentaire mais largement suffisant pour les quelques heures de trajet. Le sifflet se fait entendre à nouveau et avec une douceur inattendue le train se met à bouger. Pas de tension entre les wagons produisant les habituels chocs et vacarme consécutifs à un démarrage tout en puissance. Ici tout se tend en douceur, le wagon grignotant les premiers centimètres comme si la machine endormie depuis si longtemps reprenait tranquillement ses habitudes et dégustait ses premiers rails avec une modé- ration surprenante.
Les passagers ne tiennent pas en place et chacun veut profiter de ce moment d’excitation. Les cheminots ont le sifflet facile. Ces bruits qui s’ajoutent au halètement du moteur à vapeur surprend quelque peu les passants. Sourires, photos, chacun y va de son geste, de sa remarque, mais ne demeure pas insensible au spectacle défilant sous ses yeux.
La traversée de Bangkok et de sa banlieue est longue, le convoi longeant les travaux de la nouvelle ligne du BTS, un contraste entre deux mondes. D’un côté une ligne de chemin de fer longeant bon an mal an les habitations et traversant les routes encombrées, de l’autre, des arches de béton traçant une future ligne droite surplombant de plus de quinze mètres toute une vie citadine qui doit s’adapter à elle.
Le calme revient peu à peu. De jeunes employés en t-shirt bleu floqué du logo d’un tour opérateur local distribuent eau, snacks et informations. Dans les wagons, deux types de voyageurs se côtoient : ceux qui ont acheté leur billet aller-retour (250 bahts), et ceux qui ont pris un tour organisé – une fois à destination, l’agence propose une visite des principaux temples d’Ayutthaya. Qui devra être rapide : annoncée à 10h30, l’arrivée a été retardée d’1h15, la technologie d’antan et les aléas du réseau ferroviaire ayant eu raison de la ponctualité. Le train repart pour Bangkok à 16h30.
Les cheminots et les mécaniciens profiteront de ces quelques heures pour faire le plein d’eau, attendre que le moteur refroidisse, que les aiguilles mesurant la pression redescendent. Les bielles et les essieux doivent également être huilés. Toute une machinerie qui demande une attention particulière. Dans la cabine de conduite, on découvre une dizaine de cadrans : l’un est pour la pression, un autre pour l’évaporation, l’autre encore pour la quantité d’eau. Chacun a une fonction donnée et il faut une certaine expérience pour manœuvrer un tel engin. Un savoir qui se transmet ici sur le terrain, entre anciens et nouveaux, entre cheminots expérimentés et amoureux des trains.
Au beau milieu de ces cadrans, un tout petit hublot laisse entrevoir le feu qui se consume au cœur de la chaudière. Il fait très chaud dans la cabine, mais les cheminots, malgré leur tenue officielle, costume bleu et gants blancs de protection, n’en laissent rien deviner. Tout est impeccable. Seule la guirlande de fleurs déposée le matin s’est légèrement fanée en raison de la chaleur ambiante. A quelques centimètres du hublot, un petit écriteau donne différentes informations et références. L’une d’elles, la date du moteur, est très surprenante : juin 2013. Si la locomotive a gardé une carcasse ancienne, elle n’en est pas moins équipée d’un moteur à injection dernier cri. Nous sommes loin de la gueule noire d’un Jean Gabin dans La Bête Humaine. Le charbon a fait place au diesel, mais les conditions de travail demeurent toujours aussi dures.
16h30, le sifflet retentit de nouveau. La locomotive, entourée d’un nuage de vapeur, entre lentement le long du quai de la gare. La magie opère toujours. L’agitation reprend, ceux qui attendent un train pour le nord sont surpris de cette arrivée et déclenchent aussitôt leurs téléphones pour immortaliser la rencontre. Pour les autres, ceux qui rentrent à Bangkok, la surprise n’en est plus une, mais ils sont surtout épuisés par le voyage et l’ardeur du soleil qui n’a épargné personne. Très rapidement, chacun retrouve sa place, ses voisins, rapporte et raconte sa journée tout en se laissant bercer par la longue ondulation du convoi qui rejoint la capitale.
Avec la nuit tombante, la chaleur se fait moins pesante et la torpeur gagne peu à peu les passagers. Il y a moins de monde qu’à l’aller. Certains ont préféré rentrer en minibus, plus rapide. Le train 850, lui, toujours aussi nonchalamment, va avaler les kilomètres en prenant son temps.
L’arrivée se fait une nouvelle fois avec un retard d’1h30. Plus de 5h30 de train pour un simple aller-retour de 70 kilomètres, c’est long, mais le sifflet annonçant l’entrée en gare de Hua Lamphong rappelle que nous avons roulé à la vitesse de la vapeur.
Face au succès et à l’engouement populaire, l’expérience va être renouvelée. Prochain départ prévu : le 12 août, jour de la fête des mères et de l’anniversaire de la reine.
Stéphane Courant