Une chronique économique de Florian Demandols
Les semi-conducteurs et leur importance croissante dans une multitude de domaines (télécommunication, automobile, spatial, militaire, etc) sont devenus un enjeu majeur. L’épicentre de cette industrie se situe sans contestation possible en Asie où se démarquent très largement la Chine, le Japon, Taïwan et la Corée du Sud. Les deux derniers pays cités se distinguent en outre pour être les leaders incontestés concernant la fabrication de semi-conducteurs reposant sur une technologie inférieure à 7 nanomètres. Toutefois, depuis peu, de nouveaux acteurs de la région commencent à se distinguer dans le secteur. C’est notamment le cas du Vietnam, mais également d’autres pays membres de l’ASEAN qui ont pris le même tournant. Comment se situent ces acteurs à l’échelle mondiale et régionale ? Quelles perspectives pour ces outsiders dans un futur plus ou moins lointain ? Voici quelques éléments de réponse.
Le Vietnam se positionne comme un candidat prometteur
Le Vietnam publiera cette année un décret visant à créer un fonds de soutien aux investissements visant à stimuler les afflux de capitaux étrangers dans les secteurs de l’intelligence artificielle (IA) et des semi-conducteurs. Ce fut la teneur du discours tenu mardi 1ᵉʳ octobre 2024 par le ministre de la Planification et de l’Investissement, Nguyen Chi Dung dans le cadre d’Innovate Vietnam 2024. Ce fonds de soutien a pour vocation de financer partiellement des coûts tels que la main-d’œuvre, les activités de R&D, les investissements logistiques et structurels, mais aussi la formation d’une main-d’œuvre hautement qualifiée. Il est notamment question de former 50 000 ingénieurs dans les secteurs des semi-conducteurs et de l’IA d’ici à 2030. Toutefois, cela fait déjà quelques années que le Vietnam attire les sociétés étrangères du secteur, grâce notamment à un cadre juridique favorable.
C’est ainsi que l’on trouve déjà des géants mondiaux tels que Google, Meta, AMD, Qualcomm, Intel, ou bien encore plus récemment Nvidia solidement implantés au Vietnam. En outre, depuis 2023, un partenariat ambitieux fut noué entre le Vietnam et le Département d’État américain dans le cadre du Fonds international pour la sécurité technologique et l’innovation (ITSI), créé à la suite du CHIPS Act de 2022. Ce partenariat vise à s’appuyer sur les atouts préexistants du Vietnam en matière d’assemblage, de tests et d’emballage, mais aussi à identifier des axes d’amélioration. L’objectif à terme pour les États-Unis étant de pouvoir compter sur un nouveau partenaire (fournisseur) solide dans le club restreint que représentent les producteurs de semi-conducteurs.
D’autres pays de l’ASEAN sur la même voie
Un certain nombre de pays voisins du Vietnam et membres de l’ASEAN ont déjà suivi une voie similaire. Il s’agit à ce jour du deuxième bloc exportateur de semi-conducteurs, représentant à lui-seul près de 23% des exportations mondiales. Des pays comme la Malaisie ou Singapour font notamment office de figure de proue dans la région. Si de plus en plus de pays de l’ASEAN attirent un nombre croissant d’IDE dans le domaine des semi-conducteurs, ce n’est pas sans raison. Tout d’abord, le contexte géopolitique actuel voit les États-Unis et la Chine se livrer une guerre sans merci dans le domaine technologique, dont celui des semi-conducteurs. Or, malgré la multiplication des restrictions occidentales à l’égard des technologies chinoises, le géant asiatique continue avec succès les investissements massifs dans le secteur. C’est dans ce cadre que les acteurs occidentaux (États-Unis et Union européenne) ont tenté d’amorcer une stratégie de « de-risking » vis-à-vis de la Chine. Celle-ci consiste simplement à diversifier l’offre de potentiels fournisseurs de semi-conducteurs afin de réduire le risque de dépendance vis-à -vis de la Chine. D’où l’intérêt croissant des acteurs occidentaux pour de nouveaux producteurs, dont font partie un certain nombre de pays de l’ASEAN.
Un avenir qui demeure toutefois incertain
Toutefois, un grand nombre de facteurs rendent l’avenir de cette industrie difficilement prévisible. Au-delà de la problématique globale que risque de poser l’accès aux métaux rares nécessaires à la confection des semi-conducteurs, l’inconnu demeure également du point de vue géopolitique. Parmi ces points d’interrogation, il y a notamment le cas de Taïwan dont l’avenir aura un impact gigantesque sur l’industrie des semi-conducteurs. L’île reste au cœur d’un bras de fer entre la Chine et les États-Unis et le regain de tension observé au cours du mandat de Joe Biden pourrait n’être que les prémisses d’une crise majeure. Bien qu’il ne s’agisse à ce stade que de supputations, selon certains observateurs, le rattachement de Taïwan à la Chine continentale pourrait avoir lieu en 2027, politiquement ou militairement.
L’autre élément qui pourrait radicalement changer la donne est la possible (probable ?) victoire de Donald Trump aux prochaines élections présidentielles américaines de novembre 2024. Dans ce cas, il faudra être particulièrement attentif à son positionnement vis-à-vis de la Chine, de Taïwan, et plus largement de l’industrie des semi-conducteurs. Pour rappel, Donald Trump fut au cours de son mandat l’instigateur d’une guerre commerciale sans merci avec la Chine. Toutefois, ses positions concernant une éventuelle défense de Taïwan en cas d’attaque chinoise sont beaucoup plus évasives que celles défendues par l’administration démocrate. En cas d’élection, quelle sera la position de Donald Trump concernant les investissements américains dans les pays de l’ASEAN (dont le Vietnam) ?
Et si la Chine qui résiste jusqu’ici plutôt bien aux restrictions occidentales, parvenait tout de même à prendre le leadership dans le domaine des semi-conducteurs ? Quelles seraient les réactions américaines ? Beaucoup de questions en suspens donc, mais qui joueront à coup sûr un rôle crucial dans les orientations politico-économiques à venir dans la région ASEAN et au Vietnam.
Florian Demandols
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