L’excellent lettre d’information « L’envers du globe » par Benouda Abdenaim (abonnez-vous !) offre un panorama complet de l’offensive vietnamienne en matière d’énergie nucléaire.
Nous en republions ici des extraits.
Le temps presse : Ne pas faire les choses à moitié : cinq provinces vietnamiennes sont identifiées pour y installer des centrales nucléaires de “grande échelle”, selon les termes du ministère de l’Industrie. La semaine dernière, le chef du gouvernement vietnamien, Pham Minh Chinh, a requis une accélération du programme nucléaire civil, afin qu’en 2031 le pays commence à utiliser ce type d’électricité. Les compagnies nationales électrique et pétro-gazière ont pour instruction de tenir ces délais extrêmement serrés, et de se diriger ensuite vers une programmation à 2050. Le temps presse… En fonction des évaluations du cabinet américain de consultants PwC, au rythme escompté de sa croissance économique, il falloir au Vietnam pratiquement doubler ses capacités de production de courant dans les cinq années qui viennent, puis encore les tripler, au minimum, dans les vingt années qui suivront.
Russie + 4 : La gageure est donc d’aller encore plus vite qu’une Chine dotée, dans ce domaine, d’un savoir-faire incomparable. Et comment procéder alors que deux projets de centrale avec des réacteurs russes VVER-1200 avaient été lancés à la fin des années 2000 et annulés en 2016 au motif de surcoûts ? Cette fois, par la contrainte du calendrier, Hanoï élargit ses options, en évoquant aussi bien la Russie, que le Japon, la Corée du Sud, la France et les États-Unis – par ordre de citation.
Il ne fait guère de doute pour Thuy Trong Le, directeur (de nationalité vietnamienne) du département de génie électrique de l’Université de San José (États-Unis), que le premier chantier sera attribué à l’opérateur russe Rosatom. Néanmoins, souligne ce spécialiste de la conception de réacteurs, “le Vietnam ne veut pas avoir un seul partenaire, mais plusieurs. D’autres pays mentionnés devraient donc être proactifs à cet égard”. Joint à Moscou, Alexander Korolev, de l’École russe des hautes études en sciences économiques, estime simplement que l’offre de la Russie reste la mieux placée puisque “des discussions sérieuses” sont en cours.
Un premier accord exploratoire a été paraphé le 14 janvier, en instaurant un “comité de pilotage”.
Le directeur général de Rosatom, Alexeï Likhachev, ne parle pas encore de contrats fermes, mais dit “espérer” que Rosatom poursuivra son “soutien” au Vietnam. Mardi, à l’inauguration d’une exposition à Moscou marquant le 75e anniversaire de leurs relations diplomatiques, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a invoqué une “amitié et une sympathie entre les deux peuples qui ont surmonté l’épreuve du temps et des circonstances politiques”. Hanoï veille à ne pas déroger aux liens qui remontent à l’appui que l’Union soviétique lui apporta pour vaincre le Sud-Vietnam pro-américain en 1975.
Dans une note sur les “défis” en la matière, Richard Ramsawak, de l’antenne à Hô-Chi-Minh-Ville de Institut royal de technologie de Melbourne, juge “essentiel” le développement d’une “main-d’œuvre hautement qualifiée”. Pour cet économiste, la solution pour le Vietnam réside dans une “association” avec des pays en mesure de “former ingénieurs, techniciens et régulateurs à la technologie nucléaire, aux procédures de sécurité et à l’exploitation des centrales”. Et il n’en cite que trois à titre principal : la Russie, le Japon et la France.
C-130 américains : Cette quête d’alternatives à la Russie sans renier le passé vaut tout autant en matière d’armements, voire davantage. En décembre dernier, l’Exposition internationale de la défense de Hanoï a attiré une trentaine de pays et près de 250 exposants.
(…) Les Chinois, de toute évidence, observent de très près cet exercice d’équilibriste vietnamien, en envisageant que la “porte dérobée” vers le marché américain que représente ce voisin asiatique se referme brutalement dans une escalade par Washington. Lors d’un forum à Pékin le mois dernier, Li Daokui, un ancien conseiller de la Banque centrale chinoise, a prévenu les investisseurs que si leur “objectif est d’exporter vers les États-Unis par l’intermédiaire d’un entrepôt au Vietnam”, ils seraient bien inspirés de reconsidérer leur manœuvre.
Et puis pourquoi courir ce risque ? Dans un entretien lundi à l’agence VNA glorifiant des relations ‘“à leur meilleure niveau de l’histoire”, Lei Xiaohua, de l’Institut chinois d’études sur l’Asie du Sud-Est (ASEAN), invoque les faits bruts : “La Chine est le plus grand partenaire commercial du Vietnam, tandis que le Vietnam est le plus grand partenaire commercial de la Chine dans l’ASEAN”. Depuis 2020, leur commerce bilatéral dépasse les 200 milliards de dollars, année après année. De telles recommandations qui se veulent de bon sens visent, par ailleurs, à ce que Hanoï recentre enfin ses intérêts vers la Chine, en rabattant de ses prétentions d’alliance avec la première économie mondiale.
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