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VIETNAM – HISTOIRE : Yves Carmona raconte….le Général Giap 

Journaliste : Yves Carmona Date de publication : 17/01/2023
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Dien Bien Phu

 

Une nouvelle chronique régulière dans les colonnes de Gavroche. Dans «Yves Carmona raconte…» notre ami et chroniqueur, ancien Ambassadeur de France au Laos puis au Népal, saisit le destin d’un événement ou d’un personnage décisif de l’Asie du sud est. Cette semaine, le général Vo Nguyen Giap, vainqueur de Dien Bien Phu.

 

Par Yves Carmona

 

Évoquer le général Giap sans évoquer le Vietnam de son temps mais aussi ce que son pays est devenu n’aurait pas de sens : Giap avec d’autres est le symbole de l’indépendance d’un pays qui s’est libéré. Le général Giap, parce qu’il a été un tacticien génial en gagnant Dien Bien Phû contre un ennemi qui se croyait supérieur, puis contribué à gagner la guerre américaine de la même manière, a permis la réunification du Vietnam.

 

Mais celle-ci s’est réalisée dans le sang et le Vietnam reste une dictature qui n’a pas voulu entendre Giap quand il a tenté de critiquer la ligne du Parti et elle l’a condamné au silence, qu’il a gardé jusqu’à sa mort. Aujourd’hui encore, il est difficile de savoir qui il était et cela amène à s’interroger sur l’histoire : bien que déjà ancienne, celle-ci reste largement à écrire.

 

Võ Nguyên Giáp (1911-2013) : un destin exceptionnel mais des zones d’ombre.

 

« Ma chère, comment voulez-vous qu’il gagne ? Il n’a même pas fait l’école de guerre !». Voilà ce que répond à la journaliste Brigitte Friang en 1938 un officier français d’État-major. [1] Giap ne l’aurait pas démenti : il n’est pas militaire. « Général autodidacte », selon ses propres termes, il n’a suivi aucun cours d’une quelconque académie militaire. Cependant, Giap a gagné contre (entre autres) trois généraux célèbres : Philippe Leclerc, héros de la Libération de Paris, envoyé pour reprendre l’Indochine aux Japonais, il parle d’indépendance avec Ho Chi Minh en réoccupant Hanoï. Il est nommé inspecteur des forces terrestres en Afrique du Nord et fait général le 14 juillet 1946. Après son départ, la guerre un instant suspendue reprend, menée notamment par le général Salan qui plus tard participera à la tentative de putsch d’Algérie, puis par le général Navarre qui perd la bataille de Dien Bien Phu en mai 1954.

 

Pas militaire, le lettré Giap a de qui tenir.

 

Fils de mandarin pauvre, il commence à lutter contre le colonialisme à 14 ans, comme son père qui est avant lui anticolonialiste et meurt dans les geôles françaises dès 1919. Il lit, en particulier Nguyen Ai Qoc qui deviendra Ho Chi Minh, Sun Tzu, « L’art de la guerre » et Clausewitz, le général prussien qui a écrit « De la guerre » entre 1816 et 1830 et dont Giap s’est tellement inspiré qu’on le brocarde du nom de Napoléon au Lycée français Albert Sarraut, le meilleur du pays où il est condisciple de Pham Van Dong, futur Premier ministre et où il obtient le baccalauréat ; puis il enseigne l’Histoire dans une école privée de la capitale.

 

De 1930 à 1932, ayant rejoint le parti communiste indochinois puis vietnamien dont il ne remettra jamais en cause la prééminence, il est emprisonné à la prison de Lao Bảo, où il rencontre Nguyễn Thị Quang Thái, qu’il épousera en 1939 et qui lui donnera une fille. De 1933 à 1938, il poursuit des études d’histoire, de droit et d’économie à l’université de l’Indochine à Hanoï où il obtient sa licence en droit et en histoire.

 

2/ Une vie de sacrifice

 

Son père mort quand il est encore enfant, une de ses sœurs aussitôt après, il apprend en 1943 que sa première femme a été battue à mort à la prison centrale de Hanoï et que leur fille est morte peu après. On comprend qu’il en ait tiré une solide rancœur contre la France.

 

Pourtant, en 1946, quand Ho Chi Minh est allé négocier en France, il est de fait le numéro 1 du Viet Minh, fréquente une danseuse avec laquelle on le voit dans les night-clubs ce qui n’est pas conforme aux normes du PCV. L’oncle Ho y met bon ordre, lui fait rencontrer une lettrée qu’il épouse et avec laquelle il aura 4 enfants, car c’est l’indépendance qui reste sa priorité face aux autorités françaises qui, elles, tournent casaque.

 

Elles proposent d’établir un gouvernement national vietnamien auquel, à terme, elles accorderont l’indépendance. Ho Chi Minh et les autres leaders du Viet Minh n’y croient pas et continuent la guerre jusqu’à :

 

3/ la victoire de Dien Bien Phu.

Giap en est l’artisan et le concept de « guerre populaire » en est le symbole en faisant appel pour la soutenir aux « héros nationaux ».

 

Les combattants du Viet Minh sont, chez eux, face à des soldats français souvent originaires de l’Empire colonial, experts en usage des armes mais, sauf exception, ne parlant pas la langue du pays. Comme le reconnaît un militaire français, le manque de renseignements de proximité est décisif, d’autant que Giap n’hésite pas à envoyer au combat et à la mort des Vietnamiens au début presque sans armes dont il sait utiliser chaque succès pour proclamer que « le peuple est invincible » – tout en affirmant qu’il faut « de l’initiative, encore de l’initiative, toujours de l’initiative ». Les armes lourdes viendront surtout après la victoire de Mao dont la Révolution triomphe en 1949 et dont les équipements viennent d’URSS, et quand Giap choisit la montagne car il ne peut défendre Hanoï. Plus récemment, des historiens chinois ont prétendu que des conseillers de leur pays avaient en fait dirigé la guerre…

 

L’armée française avait choisi Dien Bien Phu pour éviter que le Laos tombe. Elle s’est retrouvée sans aide bien que les Etats-Unis aient envisagé d’utiliser l’arme nucléaire, contre un ennemi équipé de DCA, de canons sur les collines environnantes et une logistique de centaines de camions imaginée par Giap dont l’offensive lancée le 13 mars 1954 lui a permis de gagner en 54 jours, tuant 2200 Français et capturant le commandant en chef, le général de Castries.

 

Déjà vice premier ministre et ministre de la défense depuis 1946,

 

4/ Il contribue aussi à la victoire sur les Américains.

 

Le général Giap a fait face rapidement à la guerre américaine qu’il a également gagnée. Les épisodes en sont connus, rappelons-en seulement le terrible bilan : officiellement côté vietnamien 2 millions de civils et 1,1 million de combattants, côté américain 58 000 morts. C’est la première fois dans l’histoire que l’agent orange, un puissant défoliant, était utilisé dans des bombardements aériens qui tuent encore aujourd’hui de simples paysans car les capsules qui le contenaient n’ont pas explosé[2] ; c’est aussi cette guerre qui a été ramifiée dans les pays voisins, Cambodge et Laos officiellement neutres avec les effets que l’on sait.

 

Le témoignage d’un ancien combattant vietnamien [3] explique les principes de la guerre : « Il s’agit d’opposer le faible au fort, le petit au grand. La juste cause doit toujours vaincre la férocité, l’humanisme doit vaincre la barbarie. C’est dans cela que puisent les idées d’armée du peuple et de guerre du peuple. ». C’est la vertu, non le marxisme-léninisme, qui a d’abord été à l’œuvre. Mais tous les anciens combattants que rencontre l’auteur dans les années 2000 se refusent à témoigner devant la caméra : ils savent quels risques eux et leur famille courent devant la machine du PCV.

 

Giap le savait aussi. Pendant qu’il était en vie, Hô Chi Minh l’a protégé du secrétaire général du PCV Lê Duân dont il dénonce dès 1975 la route totalitaire qu’il fait prendre au Vietnam : étatisation donc catastrophe économique [4], isolement du régime dont l’occupation du Cambodge a certes mis fin à l’horreur Khmer rouge en 1979 mais rappelle de très anciens contentieux ; en durant trop longtemps, jusqu’à 1989, elle contribue à isoler le Vietnam ; et peut-être pire encore, suivi aveugle de la ligne soviétique alors que l’URSS est déjà en train de s’effondrer. La politique économique de libéralisation Doi Moi, décidée en 1986, année où disparait Lê Duân, jette les bases du « renouveau » mais il faudra longtemps pour que le Vietnam, entré à l’ASEAN en 1995 et à l’OMC en 2007, fasse figure de nouveau dragon.

 

Le Vietnam : de pays colonisé à nouvelle puissance

 

2.1/ Un combat séculaire pour l’indépendance

 

L’histoire de l’occupation humaine de ce qu’on appelle aujourd’hui Vietnam remonte à plusieurs dizaines de milliers voire centaines de milliers d’années et c’est bien sûr l’agriculture sur une terre fertile et sous un climat favorable qui en constitue la fondation. Le besoin d’une autorité unique forte pour faire respecter les systèmes d’irrigation, dans un pays dont le Sud est tiède toute l’année alors que le Nord connaît 4 saisons, donc le commerce des produits alimentaires est permis par l’unité du Sud et du Nord et l’agriculture connaît des conditions favorables, ce qui a conduit en 2879 avant JC à la naissance légendaire d’États vietnamiens.

 

Mais la domination pendant un millénaire de la Chine voisine puis la colonisation entamée en 1858 ont maintenu longtemps le Vietnam dans la dépendance.

 

Dans la guerre comme après-guerre, le soutien de l’URSS a été indispensable, et le voisinage de la Chine a de longue date de fortes répercussions sur un pouvoir préoccupé par la sauvegarde de l’indépendance, au point de tolérer en son sein une corruption provoquant des scandales récurrents.

 

2.2/ Un nouveau pays industrialisé.

 

Au sein de l’Asie du Sud-Est, le Vietnam, aujourd’hui peuplé de 97 millions d’habitants, fait maintenant figure de nouveau pays industrialisé. Moins dépendant du tourisme que d’autres, il a relativement bien résisté à la COVID. A l’inverse, les contentieux avec la Chine incitent les grandes puissance à investir au Vietnam : Washington malgré la guerre, le Japon où la rareté et le coût de la main d’œuvre incitent les industriels, en particulier automobiles et électroniques, à délocaliser leurs usines d’autant que la main d’œuvre notamment féminine au Vietnam bénéficie de longue date d’une réputation d’habileté. Il n’y a pas que les voitures classiques et les téléviseurs : une entreprise vietnamienne fabriquant des voitures électriques y fait aussi de bonnes affaires.

 

Conclusions : 1/ il est très difficile de se faire une idée équilibrée de la réalité historique, surtout quand on a affaire à une civilisation millénaire entourée de puissances qui cherchent avant tout à se donner le beau rôle, notamment la Chine, ou quand la décolonisation divise encore.

 

2/ un parallèle étonnant mérite d’être creusé. Pendant que son père, le secrétaire à la défense Robert McNamara détruisait le Vietnam [5] détruisait le Vietnam, son fils Graig manifestait contre la guerre. Le conflit familial marqua profondément le fils. [5] Simultanément, le chef d’État major, le général Westmoreland [6] tentait en vain de « sauver le Vietnam du communisme » alors que son adversaire le général Giap cherchait surtout à en assurer l’indépendance.

 

En sens inverse, nombreux sont les enfants du Vietnam qui ont trouvé leur salut à l’étranger alors que le Vietminh était en train de gagner qui reviennent ou voudraient revenir faire la prospérité de leur pays d’origine en y apportant leur talent, telle l’écrivaine Dong Thu Huong qui ne peut plus y vivre car elle dépeint sans fard ses injustices et sa corruption.

 

3/ Cette mise en perspective pourra surprendre, mais en soldant les comptes d’une guerre coûteuse et finalement inutile en Afghanistan, le Président Biden n’a-t-il pas agi avec plus de lucidité que ses prédécesseurs qui ont maintenu des soldats, même rebaptisés « conseillers », jusqu’à les évacuer dans l’urgence en 1975 en jetant leurs hélicoptères à la mer pour s’enfuir plus vite ?

 

4/ En tout cas, puisque c’est encore l’heure des vœux, on peut souhaiter au Vietnam comme à d’autres de trouver enfin son chemin vers la démocratie.

 

[1] Cité dans T. Derbent. Giap et Clausewitz. Aden Belgique. 2006.

[2] L’auteur de ces lignes était au Laos quand les autorités américaines finançaient des ONG laotiennes pour retrouver et autant que possible désarmer ces bombes (UXO) en échange d’une aide destinée à retrouver des pilotes américains morts pendant la guerre (MIA).

[3] Giang-Huong Nguyen, cité dans Louis Raymond. Les cahiers du Nem. 2020.

[4] On raconte que les oiseaux ne chantaient plus : ils avaient tous été mangés…

[5] Les opposants à la guerre au Vietnam l’affublaient du sobriquet « waste more land »

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