Ancienne station d’été des Français du temps de l’Indochine, Sapa se trouve au Nord du Vietnam, près de la frontière chinoise. Depuis une quinzaine d’années, le village s’est beaucoup développé pour accueillir les touristes. Malgré tout, Sapa reste le point de départ idéal pour découvrir la vie des ethnies des montagnes et prendre un bon bol d’air et de nature.
Là-haut à Sapa, à 1600 m d’altitude, on a souvent la tête dans les nuages. Les habitants racontent qu’il y a souvent quatre saisons dans la même journée : le matin, il fait un peu frais comme au printemps, le midi c’est l’été, l’après-midi l’automne et le soir, on enfile son bonnet pour passer l’hiver ! A toute saison, il faut donc glisser un pull dans sa valise. Les alentours offrent des paysages de toute beauté. Dans les années 1920, conquis par ces majestueuses « Alpes tonkinoises » les Français en avaient fait une station climatique avec son sanatorium, son église et ses villas. Ils venaient s’y réfugier quand l’été devenait trop étouffant à Hanoi, à 350 kilomètres de là. Le temps et les guerres ont eu raison de l’architecture coloniale. Les vestiges de cette époque se résument à quelques maisons et l’église de calcaire blanc.
Qu’importe, Sapa se découvre surtout à travers ses paysages et ses habitants, principalement issus des ethnies minoritaires du Vietnam, les H’mongs noirs et les Daos rouges en tête. Depuis plus de quatre siècles, ils domptent les montagnes en aménageant des champs en terrasses à perte de vue pour cultiver le riz. Ces rizières changent de couleur au fil des mois, vert tendre en juin, jaune en septembre avant les récoltes. Sapa est un paradis pour les promeneurs et les vrais randonneurs. Les plus aventureux peuvent monter jusqu’au point culminant du pays, le Mont Fansipan, à 3143 mètres d’altitude.
Pour se familiariser avec Sapa, rendez-vous au marché, ouvert tous les jours et toute la journée. Sur les étals se côtoient herbes médicinales, légumes, piments, miel, noisettes, champignons séchés, jujubes confits… Devant les petits restos de rue, pendent des poulets noirs entiers. Les femmes préparent des raviolis au rouleau. On déguste des phô fumantes, la soupe traditionnelle vietnamienne. Place aussi aux bibelots et à l’artisanat ethnique. Les femmes H’mongs noirs vendent leurs beaux tissus indigos (housses de coussin, tentures, sacs et vêtements) tout en filant entre leurs doigts le fil de chanvre qui sera ensuite plongé dans un bain bleu. D’autres vendent des bijoux en métal argenté ou des batiks fabriqués avec de la cire d’abeille.
On peut ensuite descendre au village de Cat Cat. Le chemin d’environ trois kilomètres et demi descend jusqu’à une grande cascade et à une ancienne centrale hydraulique construite par les Français en 1911 pour alimenter le sanatorium et les villas. La centrale n’est plus exploitée depuis 1993. L’ancien bâtiment abrite aujourd’hui des spectacles de danse. Tout au long de la descente, les villageois ont aménagé devant chez eux des petits magasins. On peut entrer dans certaines maisons voir les mères préparer le feu, tisser ou teindre les fils de chanvre. On peut aussi observer d’ingénieux pilons à eau, des buffles et des cochons noirs en liberté.
Puis il faut s’aventurer plus loin, tenter de quitter l’autoroute touristique grâce à l’aide d’un guide local qui vous emmène en randonnée d’une ou plusieurs journées. Sur les chemins, on croise des villageois portant le costume traditionnel. Les H’mongs noirs portent des costumes indigo et des hottes dignes du Père Noël, souvent chargées des marchandises qu’ils ont à vendre. Ils bêchent la terre, parfois aidés par de gros buffles. D’autres pêchent dans la rivière. Des petits groupes de femmes suivent souvent les touristes. A force de côtoyer des étrangers, elles ont appris un peu d’anglais, parfois un peu de français.
« Where do you come from ? First time in Vietnam ? You like Vietnam ? » Elles sont capables de marcher à vos côtés pendant des kilomètres dans l’espoir de vous vendre leur artisanat, souvent de mignons petits sacs brodés.
En allant vers le village de Ta Van, le guide montre de mystérieuses pierres sculptées. Plus de deux cents pétroglyphes sont dispersés sur les flancs de la vallée de Sapa. Découvertes dans les années 1920, elles suscitent toujours beaucoup d’interrogations. Les lignes et les formes font penser à des rizières en terrasse, ce qui laisse imaginer que ces pétroglyphes servaient peut-être de cadastre aux premiers cultivateurs de la vallée. On a pensé aussi à un grand cryptogramme annonçant un futur déluge…
Des paysages et des légendes
Pour s’immerger un peu plus dans la vie locale, rien de mieux que d’aller dormir chez l’habitant. Depuis une quinzaine d’années, les « homestays » ont fleuri dans les villages autour de Sapa (Ta Van, Ta Phin, Ban Ho, Giang Ta Chai et Sin Chai en particulier). Confort spartiate mais chaleur humaine assurée. On dort sur des matelas (grosse couverture et oreiller fournis), en général au premier étage de la maison, aménagé en dortoir. Il y a toujours une salle de bains avec eau chaude et des toilettes. On peut apprendre à rouler les nems avant de dîner en famille. Tous réunis autour de la table, chacun se sert des cristophines bouillis, du porc sauté, des nems et du riz. On trinque yeux dans les yeux à l’alcool de riz ou au vin de Sapa qui n’est autre qu’un mélange de jujube sauvage fermenté et d’alcool de riz. La nuit est douce sous la charpente ajourée où de bonne heure on devine déjà les premiers rayons du soleil. Le coq chante, et déjà on s’affaire en bas. C’est l’heure de se lever. Dans la cuisine, le fils de la maison a allumé le feu pour préparer le petit déjeuner. Il fait griller un saucisson noir à même la flamme pour les vrais aventuriers… Les autres dégustent des crêpes à la banane et au miel de Sapa.
La journée continue avec de nouvelles promenades. Au village de Ta Phin, dans un magnifique paysage de rizière, l’accueil des femmes Daos rouges est sympathique et chaleureux. Elles ont toutes le haut du front rasé, les sourcils épilés et un gros foulard rouge sur la tête. Un guide local explique cette tradition par une légende. On raconte qu’un jour, après la nuit de noces, un homme de l’ethnie Dao rouge mangea une soupe préparée par son épouse. Il y trouva un cheveu qu’il prit pour un poil de moustache de tigre connu pour être un poison redoutable. Il pensa que sa femme voulait l’empoisonner. Alors, pour être sûr de ne plus jamais trouver de poil ni de cheveu dans son dîner, il lui rasa le haut du front, les sourcils et lui mis un foulard sur la tête. Depuis cette nuit-là, la femme de l’ethnie Dao rouge perpétue cette tradition. On repart de Sapa, la tête pleine de légendes, de paysages de rizières sans fin et des visages si attachants de tout ce peuple des montagnes.
J.T.