Les archives de notre mensuel nous offrent quantité de reportages, tant Gavroche s’est depuis 25 ans promené partout en Asie du Sud-Est. Cette fois: escapade en terre nourricière où se mêlent l’eau et la terre, le delta du Mékong, le cœur battant du Vietnam. Dix-sept millions d’habitants y vivent de l’agriculture et de la pêche. A seulement quelques heures Hô-Chi-Minh-Ville, un week-end permet une approche du fleuve aux neuf dragons, entre vergers, canaux et logement chez l’habitant.
Au début, on croirait ne jamais en sortir. La circulation frénétique Hô-Chi-Minh-Ville, les deux-roues en pagaille, le vacarme assourdissant de la capitale économique du Vietnam. Mais à mesure que l’on descend la fameuse route n°1, qui relie le sud du pays à Hanoï dans le nord, les indices apparaissent, sous la forme de ramboutans, de longans et de durians…
En vente à la moindre station-service, ces fruits familiers de l’Asie du Sud-est annoncent l’arrivée sur la terre fertile du delta du Mékong. Bienvenue dans un monde d’eau et de lumière, de nuages et de mousson, de vergers et de rizières. Après avoir traversé la Chine, la Birmanie, le Laos, la Thaïlande et le Cambodge, le quatrième fleuve d’Asie termine sa course au Vietnam. Il s’y sépare en neuf branches, d’où son nom vietnamien de Cuu Long (neuf dragons).
Après trois heures de route depuis Hô-Chi-Minh-Ville, le voyageur arrivé à Vinh Long ne prend pas immédiatement la mesure de l’endroit dans lequel il se trouve. Avec ses 150 000 habitants, la ville est davantage une plate-forme commerciale qu’un site d’intérêt touristique, mais constitue un bon point de départ pour découvrir la vie du delta.
Pour cela, il suffit d’emprunter le bac qui fait la navette avec l’île d’An Binh, située juste en face. Quelques minutes de traversée des eaux boueuses remuées par un fort courant, puis les dizaines de motos qui se trouvaient sur le bac s’évanouissent comme par magie. Il faudra tout de même en enfourcher une pour rejoindre son logement.
En route pour une petite randonnée sur une étroite passerelle bitumée, parsemée de petits ponts enjambant les « arroyos », ces multiples petits bras de rivières qui sillonnent l’île. Quelques insulaires prennent le frais sous les manguiers. Plusieurs d’entre eux ont aménagé leur maison pour y recevoir des visiteurs.
C’est le cas de Tam Ho, propriétaire d’un verger de deux hectares. Le vieux monsieur à la barbiche grise est désormais un peu en retrait, mais son fils ne manque pas d’accueillir les invités de la nuit avec une tasse de thé, des fruits du jardin et quelques mots d’anglais, très rarement parlé dans le coin.
Avant le coucher du soleil, un petit tour dans le verger s’impose. Goyaves, pommes d’eau, papayes, et pomelos sont au rendez-vous. « En 1990, le gouvernement a décidé que les habitants de l’île devaient cultiver des fruits car le terrain était propice. Il est interdit d’y planter du riz », explique Mien, une jeune guide touristique.
Les villageois s’en accommodent plutôt bien, les cultures fruitières étant nettement plus rentables à l’hectare que celle du riz. Les plaisirs d’un séjour sur An Binh passent aussi par la dégustation d’autres spécialités locales. Le poisson à oreilles d’éléphant, grillé et servi à la verticale, est un délice.
Au fil de l’eau
Mais pour approcher vraiment le delta, il faut mettre le pied sur un bateau. Dès l’aube, une balade au fil de l’eau permet de prendre conscience de l’immensité du Mékong. Les habitants peignent des yeux cernés de rouge sur la proue de leurs bateaux, pour pouvoir mieux sonder les profondeurs du fleuve et en éviter les dangers.
Si le riz ne pousse pas sur l’île d’An Binh, il reste la culture principale de la région. Véritable garde-manger du Vietnam, le delta du Mékong fournit à lui seul 16 millions de tonnes de riz chaque année, soit environ la moitié de la production totale du pays. Des bateaux chargés à ras bord de la précieuse céréale sillonnent le fleuve. Soufflé, le riz sert également à la confection de délicieux bonbons, spécialité de plusieurs villages autour de Vinh Long. Son écorce brune est utilisée comme combustible un peu partout à travers le delta.
A l’aube, les bateaux de tous les paysans de la région convergent vers le marché de Cai Be, à environ une demi-heure de navigation de l’île d’An Binh. Chaque famille vient y vendre un produit unique. Les vendeurs annoncent la nature de leur cargaison à l’aide d’une perche sur laquelle ils accrochent un échantillon de leur marchandise, patate douce ou ramboutan par exemple.
Le marché a beau attirer les touristes, aucune barque vendant des souvenirs ne vient gâcher le plaisir d’assister à un spectacle très local. En arrière-plan, une belle église gothique attirera à coup sûr l’œil des photographes. La vision n’est pourtant pas si insolite que cela dans la région du delta, où de nombreuses églises parsèment les berges.
« La population des environs est à moitié chrétienne, à moitié bouddhiste », précise la guide. Les alentours de Vinh Long furent aussi le berceau d’une religion quelque peu insolite, dite de la « noix de coco ». Fondée dans les années 1945-50 par un moine dont la légende dit qu’il se nourrissait exclusivement de ce fruit, cette secte était un mélange de christianisme et de bouddhisme appelé Tinh Do Cu Si. Le moine est décédé en 1990 et sa « religion » s’est éteinte en même temps que lui.
Les environs d’An Binh peuvent aussi s’explorer agréablement à vélo, en espérant qu’une pluie diluvienne de mousson ne vienne pas dévier votre course. Le charme du delta passe aussi par là.
Emmanuelle Michel